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LE 29e BULLETIN

tions et leurs majorats, il faut d’abord sauver l’Empire, qu’ils n’ont de salut que par lui, qu’ils sont tous avec lui, depuis le commencement, entrés dans une aventure. « Si j’étais né sur le trône, si j’étais un Bourbon, il m’aurait été facile de ne point faire de fautes ! » Ce sont toujours les généraux que Bonaparte redoute et il est moins sûr d’eux que des soldats. Il trouvait encore le langage qui les retenait dans le devoir. Seul Berthier résista, voulut partir aussi. Le mamelouk Roustan raconte la scène avec une simplicité barbare : « Je suis vieux, emmenez‑moi. — Vous resterez avec Eugène et Murat. » Comme Berthier insistait : « Vous êtes un ingrat, vous êtes un lâche ! Je vous ferai fusiller à la tête de l’armée. » On pressent la révolte des grands chefs, la mise en demeure de Fontainebleau.

Napoléon part le 5 décembre « sur un simple traîneau, fugitif, survivant à son armée, à sa gloire, pour ainsi dire à sa puissance et présentant sur sa route, à ses gouverneurs, à ses alliés, à ses tributaires, une espèce de fantôme qu’un souffle pouvait anéantir mais dont le nom seul imprimait encore la terreur et commandait le respect ». La vision qu’en a eue Thibaudeau est grande. Cet empereur qui, sous le nom d’un secrétaire, traverse la Pologne, la Prusse, avec trois compagnons, exposé à tous les hasards de la route s’il est reconnu, c’est un autre chapitre de sa vie aventureuse. Bonaparte a déjà quitté l’Égypte dans les mêmes conditions, se fiant à la fortune. Rien ne l’étonne. Il s’est toujours attendu à tout. Durant ce trajet, il parle de lui‑même comme d’un étranger, avec cette disposition à se regarder vivre où l’artiste se reconnaît. Il a emmené Caulaincourt, comme s’il avait un besoin, une curiosité de se retrouver en tête‑à‑tête avec l’homme dont il n’a pas voulu entendre les avis. Avec lui, il discute son cas, comme s’il s’agissait d’un autre : « Je me suis trompé, non sur le but et l’opportunité politique de cette guerre, mais sur la manière de la