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hommes pour leur bonheur. Sur ce thème, il brode quarante pages auxquelles ne manquent ni le talent, ni même une certaine poésie, ni surtout l’enflure. Bonaparte n’obtiendra pas le prix mais il a écrit son traité avec complaisance. Il s’y est préparé en collectionnant dans un cahier spécial des expressions pour s’entraîner au beau style. Bref il n’est pas loin de sentir en lui un auteur.

Et puis il commence à se déniaiser. Il se civilise. Les agitations d’Ajaccio lui ont fait du bien et, à Valence, on le trouve changé à son avantage, sociable, beaucoup plus gai, peut-être seulement un peu trop républicain. Ayant mordu à la politique, il s’inscrit à la Société des amis de la Constitution, il y prend même la parole, sans s’apercevoir que plus il s’intéresse à ce qui se passe en France, plus il s’éloigne de son autre patrie.

Il conciliait ainsi beaucoup d’états divers, celui d’officier-gentilhomme, de Corse, de philosophe et d’écrivain, d’orateur de club, lorsque se produisit l’événement de Varennes. Le départ de Louis XVI, son humiliant retour à Paris laissaient prévoir le renversement de la monarchie. C’est ainsi que le comprirent les militaires auxquels fut demandé un nouveau serment, bien plus grave que l’autre puisqu’il devait être écrit et prêté à l’Assemblée seule. Beaucoup d’officiers refusèrent, se regardant comme engagés d’honneur envers le roi. Ceux-là émigreront et Napoléon, qui avait connu leurs scrupules de conscience, sera indulgent à ces émigrés. D’autres jurèrent, quelquefois avec enthousiasme, le plus souvent avec résignation, soit parce que, militaires avant tout, ils avaient le goût de leur métier, soit parce qu’il leur répugnait de quitter la France, soit enfin parce qu’ils n'avaient pas d’autre ressource que leur solde. Ainsi le général du Teil consentit à servir la Révolution qu’il n’aimait pourtant pas. Il fut mal récompensé car on le fusilla en 1794,