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LE 29e BULLETIN

L’empereur a sous la main des troupes que les fatigues, la maladie, les désertions ont sans doute réduites en nombre. Il lui reste ce qu’il y a de plus résistant, de plus valeureux, des hommes à qui l’on peut tout demander, qui s’en iraient jusqu’aux Indes, qui croient parfois y aller et préfèrent le risque et l’aventure à l’ennui des quartiers d’hiver dans un pays désolé. C’est une fausse sagesse que de s’en tenir au plan primitif. Il faut, au contraire, marcher à l’ennemi, l’obliger à se battre, forcer une paix qui ne vient pas, « en finir », comme il dit à Duroc, « avec cette fièvre de doute ». Alors l’empereur tient conseil comme il fait toujours lorsqu’il a un grand parti à prendre et pour qu’on l’approuve, pour qu’on lui dise qu’il a raison. Il s’emporte contre Berthier, qui recommande la prudence. Il lui reproche d’être un des plus avides de repos parmi ceux qui n’aspirent plus qu’à jouir de leurs majorats et de leurs rentes. Au major général, il avait déjà dit, grossièrement, pendant la campagne de Prusse : « Vous êtes donc bien pressé d’aller… dans la Seine. » Il maltraite le prince de Neuchâtel et de Wagram, son « cousin », rudoie le fidèle Duroc lui‑même, autant qu’il est doux, prévenant avec ceux qui entrent dans ses vues. Après tout, il est le maître, le chef de guerre. L’idée d’un long hiver à passer dans cette triste Lithuanie pèse aux hommes d’action. La nouvelle manœuvre, celle de Smolensk, sera exécutée. Et l’Empereur est encore persuadé qu’elle ne peut manquer d’apporter le coup de foudre, de tout finir. Il devait patienter à Vitebsk jusqu’à l’été suivant. Il y sera resté quinze jours.

Depuis longtemps, depuis huit années, comme la Révolution elle-même, qui avait entrevu que, pour venir à bout de l’Angleterre, il faudrait être venu à bout de la Russie, Bonaparte est à la poursuite de l’impossible. Tout crée maintenant des impossibilités. À Vilna, il a laissé échapper Barclay et Bagration pour n’avoir rien voulu livrer au hasard.