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LE 29e BULLETIN

Ce que l’on pensera de plus juste, c’est peut‑être que l’empereur se grossissait à lui-même ses embarras. Il en revenait toujours aux armements d’Alexandre et ce n’était pas seulement pour se donner un grief contre le tsar. Il les prenait au sérieux, il les redoutait. C’est une des raisons qui rendent peu croyables les discours présomptueux que lui ont prêtés, après coup, l’abbé de Pradt et plus encore Villemain, répétant à longue distance des propos de Narbonne. Si Napoléon était résolu à cette guerre, il n’entrait pas un instant dans son esprit qu’elle dût franchir les limites qu’il s’était fixées. Avant de quitter Paris, il avait rassuré le sage Cambacérès qui lui présentait des objections, traduisant les alarmes du public. Le prenait‑on pour un fou ? Allait-il tout risquer dans une aventure ? Et ce qu’il avait dit à Cambacérès, il le répétait à Metternich : « Mon entreprise est une de celles dont la patience renferme la solution. Le triomphe appartiendra au plus patient. » La campagne trouverait son terme à Smolensk et à Minsk. En aucun cas Napoléon ne dépasserait ces deux points, aux limites de la Pologne et de la vieille Russie. S’il n’avait pas battu les Russes avant la fin de la belle saison, il établirait son quartier général à Vilna, peut‑être même en reviendrait‑il pour passer à Paris les mois les plus rigoureux de l’hiver.

Telles étaient les intentions qu’il annonçait encore à Dresde, à la fin du mois de mai, au milieu d’une assemblée de rois et de princes dont l’éclat dépassait celui d’Erfurt. Toute l’Allemagne était là pour lui rendre hommage et il aurait pu appliquer à la politique ce qu’il disait de la guerre : « La réputation des armes est tout et équivaut aux forces réelles. » Ceux qui avaient pris leurs précautions au cas où la fortune lui serait contraire n’étaient pas moins empressés que les autres. Il ne manquait ni le roi de Prusse ni l’empereur d’Autriche. À