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NAPOLÉON

craint. Mais l’hypothèse d’un grand revers de Bonaparte est toujours réservée.

Et parce qu’il le sent toujours redoutable, Alexandre a renoncé à son projet d’agression. Il dit maintenant qu’il se retirera « au Kamtchatka » plutôt que de signer, fût-ce dans sa capitale conquise, une autre paix qui ne serait encore qu’une trêve. Bien que Napoléon n’ignore pas le nouveau dessein d’Alexandre, il reste persuadé qu’« une bonne bataille fera raison de ses déterminations ». Ils savent tous les deux que le conflit ne peut pas être évité. Mais ni l’un ni l’autre ils ne veulent être l’agresseur.

Napoléon croit si bien qu’une « bonne bataille » remettra tout en place, lui ramènera le tsar repentant, qu’il ménage la réconciliation future. Il persiste même à espérer que l’approche de la Grande Armée suffira. Alors pas de guerre à outrance, pas de guerre inexpiable, pas de ces moyens qui rendent impossibles les négociations et les rapprochements, pas plus de résurrection de la Pologne que de promesse d’affranchissement aux moujiks. L’empereur a besoin des Polonais. Il est nécessaire de les encourager, mais pas trop, car il se peut qu’il « les laisse là » et « il faut qu’il y en ait de moins possible de pendus ». Au mois de mars 1812, Napoléon croit encore que, dès qu’il aura paru sur l’Oder ou sur la Vistule, Alexandre voudra négocier. Il entend faire à la Russie une guerre politique et même diplomatique. Il y trouvera une guerre nationale.

Et peut‑être le tsar, malgré sa menace de se retirer jusqu’au Kamtchatka, eût-il faibli dans la résolution grave, et qui lui coûtait, de laisser entrer l’adversaire et de tout dévaster devant lui, peut‑être eût-il livré la bataille que désirait Napoléon s’il n’eût su qu’il n’avait à compter ni sur la Prusse ni sur l’Autriche. Cependant la Grande Armée inondait l’Allemagne, en marche vers le Nord. La France et la Russie étaient toujours sous le simu-