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LE ROI DE ROME

fin, l’impassibilité du cabinet de Londres a quelque chose de fascinant. Le roi est fou. Le régent sans autorité. Le gouvernement, composé d’hommes sans prestige, n’est qu’un conseil d’administration. C’est une machine à calculer et, parce qu’elle est insensible, d’autant plus opiniâtre. Rien ne lui fait. Un moment, la crise de ses finances a été si grave qu’on a pu croire l’Angleterre à bout. Elle a tenu. Et nul succès de Bonaparte ne la trouble. Il peut épouser la fille des Césars, menacer de réunir la Hollande, puis exécuter la menace, rétablir pour quelque temps ses affaires en Espagne et en Portugal. L’automate ne change pas un de ses mouvements. Napoléon annexe toujours. Albion a l’air de lui dire : « Tant qu’il vous plaira. » Cependant Alexandre est fortifié dans son dessein de rompre par les tentacules que l’Empire napoléonien pousse maintenant vers les rivages baltiques. Il ne l’est pas moins par le flegme prodigieux que l’Angleterre oppose à ces agrandissements. Comme il faut qu’elle soit sûre d’elle-même, de son triomphe final ! Par cette confiance dans le résultat dernier, elle aimante le tsar, fatigué de la loi du blocus, inquiet du mécontentement que le « système » cause à ses sujets. Quel intérêt a‑t‑il à continuer cette lutte contre l’Angleterre ? Pour la Russie, la liberté des mers, la tyrannie navale, ce sont des mots. Bien plus gênante est la règle que Napoléon lui impose. Alexandre n’a conclu l’alliance, après Friedland, que pour sortir d’embarras. Il l’a enveloppée de réticences à Erfurt. L’heure pour laquelle il se réservait lui semble venue. « Rira bien qui rira le dernier. »

Nous avons peine à nous représenter un temps, encore si près du nôtre, où les nouvelles n’arrivaient que par courriers, où les communications n’étaient guère plus rapides qu’au siècle de Jules César. Il fallait bien deux semaines pour que l’on sût à Paris ce qui se passait à Pétersbourg. Aux actes d’un gou-