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germe. Avoir la supériorité numérique sur un point donné et concentrer les efforts, tenir toujours ses forces réunies par la liaison entre toutes les parties de son armée, surprendre l’ennemi par la rapidité des mouvements (ce que le grognard appellera « faire la guerre avec ses jambes »), ces recommandations simples et claires devaient frapper et séduire l’intelligence de Bonaparte. Il les a appliquées, développées, énoncées, traduites en action, de telle sorte qu’il les a faites siennes et qu’on a pu à bon droit leur donner son nom. Mais c’était encore un héritage et un héritage français. Selon les expressions dont s’est servi l’historien qui de nos jours a renouvelé cette partie de la biographie de Bonaparte, le capitaine Colin : « La génération militaire qui l’a précédé et instruit n’a pu lui inspirer que le désir ardent de réaliser cet idéal de guerre offensive et vigoureuse auquel on se croyait sûr d’atteindre. »

Les théoriciens du nouveau système de combat attendaient même le réalisateur. Il viendrait, avait écrit Guibert, le jour où il aurait à commander une armée nouvelle, une « milice nerveuse ». Et l’auteur de l’Essai général de tactique avait prophétisé : « Alors un homme s’élèvera, peut-être resté jusque-là dans la foule et l’obscurité, un homme qui ne se sera fait un nom ni par ses paroles ni par ses écrits, un homme qui aura médité dans le silence, un homme enfin qui aura peut-être ignoré son talent, qui ne l’aura senti qu’en l’exerçant et qui aura très peu étudié. Cet homme s’emparera des opinions, des circonstances, de la fortune, et il dira du grand théoricien ce que l’architecte praticien disait devant les Athéniens de l’architecte orateur. : ce que mon rival vous a dit, je l’exécuterai. »

On n’est jamais qu’à demi prophète. Et Guibert n’avait pas prévu le jour où l’homme qu’il avait aperçu dans l’avenir ne commanderait plus une « milice nerveuse » mais une immense armée, où