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NAPOLÉON

qu’il est revenu à Fontainebleau, il parle plus librement qu’à tout autre. Il lui dit ses intentions, une partie de ses inquiétudes. L’agression de l’Autriche, compliquée de l’insurrection d’Espagne, a été un coup dangereux. À Essling, le désastre a été esquivé de bien près. L’alliance russe est fêlée. Le monde allemand fermente et Staaps a produit des effets que ce jeune fanatique ne soupçonne même pas. Ce ne sont plus seulement la balle perdue, le boulet tiré au hasard qui menacent la vie de l’empereur. On le sait et il y a des hommes qui veulent avoir tout prévu. À Paris on fait des plans. Après Murat, c’est à Eugène que l’on pense comme au successeur possible. Eugène serait encore le moins mauvais. Quels titres a-t-il ? Par qui serait‑il accepté ? Napoléon, jetant « sur les misères de sa famille un regard triste et profond », ne voyait aucun de ses frères qui fût capable de le remplacer. Il savait que, lui mort, ils disputeraient le trône à l’héritier qu’il aurait désigné. Attendent-ils seulement que Napoléon soit mort ? À Madrid, l’entourage de Joseph parle de la succession impériale comme si elle était ouverte. On ne réussit pas à gouverner l’Espagne et l’on a un programme de gouvernement pour la France. Joseph rêve autour du pot au lait. En idée, le voici empereur. Bien vu du Sénat, il fera l’Empire libéral. Il saura être sage, prudent, rendre les conquêtes superflues, contenter l’Angleterre, conclure la paix. C’est déjà un lieu commun et l’histoire le répétera interminablement, qu’avec un peu de modération tout s’arrangerait, comme s’il dépendait de Napoléon d’être modéré.

Il sent « l’Empire ébranlé ». Justifiant le divorce, devenu « chose indispensable », depuis longtemps méditée, désormais arrêtée dans son esprit, il dira à Hortense : « L’opinion s’égarait. » Pour se séparer de Joséphine, l’empereur a deux raisons, l’une et l’autre puissantes, qui tendent toutes deux à sa propre conservation.