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CHAPITRE XIX

LE GENDRE DES CÉSARS


Sauf peut-être après Tilsit, toutes les rentrées de Bonaparte à Paris ont été soucieuses. Plus encore que les autres, le retour de Wagram est chargé de préoccupations. Rien n’est propre à satisfaire l’empereur, et ce qu’il a vu, ce qu’il apprend, ce que lui disent la raison et l’instinct, tout le confirme dans la pensée que s’il ne s’affermit pas, et cette fois fortement, il sera emporté à la première bourrasque, lui, sa couronne et son empire. Sur les hommes, sur leur fidélité, il n’a jamais eu d’illusions : « On s’est rallié à moi pour jouir en sécurité ; on me quitterait demain si tout rentrait en problème. » C’est le moment de son mot célèbre, le mot d’un homme qui a le sentiment brutal du réel. Il demandait à Ségur ce qu’on penserait s’il venait à mourir, et l’autre se confondait en phrases de courtisan : « Point du tout, répondit l’empereur : on dira « Ouf ! » Il sait que déjà il est supporté plus qu’aimé, que ceux dont il a fait la fortune la sépareraient vite de la sienne si l’adversité survenait et qu’il en trouverait peu pour partager jusqu’au bout les risques qu’il court. Ceux qui l’observent distinguent chez lui, contre tout le monde, « on ne sait quelle amertume cachée », et tandis que sa mère hoche toujours la tête en doutant que cela dure, il avise aux moyens de durer parce qu’il a senti le sol trembler sous ses pas, entrevu le commencement de la fin.

Devant Cambacérès, le premier qu’il appelle dès