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LE PREMIER NUAGE VIENT D’ESPAGNE

promis. Cette incertitude avait troublé l’empereur. Ce trouble le poursuivait. Le courrier qu’il recevait renouvelait ses soupçons et ses alarmes. Aussitôt son parti fut pris de revenir. Laissant à Soult le soin de jeter le général Moore à la mer, il s’établit pour quelques jours à Valladolid, d’où il était plus aisé de communiquer à la fois avec la France et avec Madrid et il rédigea ses instructions avant de quitter l’Espagne.

On le vit là irritable, courroucé, et une occasion singulière lui fut donnée de montrer le fond de son cœur. Passant une revue à Valladolid, il se trouve en présence du général Legendre, un de ceux qui, avec Dupont, avaient capitulé à Baylen. Scène effroyable où, d’une voix tonnante, sur le front des troupes, Napoléon ne se contente pas de lancer de sanglants reproches à l’un des responsables de la catastrophe. Baylen, c’est pour lui un fer rouge, comme Trafalgar. Et sans penser que le dernier soldat de sa garde l’entend, il soulage sa colère, il passe ses nerfs sur l’homme qui est devant lui, il déroule les conséquences du désastre, Madrid évacué, l’insurrection de l’Espagne exaltée, les Anglais dans la péninsule, tous les événements changés, la « destinée du monde » peut‑être aussi !

Abandonnant l’Espagne à ses lieutenants, quoiqu’il annonçât que son absence serait brève, Napoléon, quelques jours plus tard, regagne Paris à cheval. À des vœux de Joseph pour l’année nouvelle, il a répondu avec une sécheresse qui vaut un haussement d’épaules : « Je n’espère pas que l’Europe soit pacifiée cette année. Je l’espère si peu que je viens de rendre un décret pour lever cent mille hommes. » Il ajoutait, et il disait bien : « L’heure du repos et de la tranquillité n’est pas encore sonnée ! »