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NAPOLÉON

de bivouac et, dit Savary qui l’observait, « quoique sa figure ne changeât presque jamais, je crus cependant que ce qu’il venait de lire lui donnait à penser ». Ces dépêches lui apprennent que l’Autriche a repris ses armements et se prépare à l’attaquer tandis qu’il est au fond de l’Espagne. Elles confirment aussi les nouvelles qui lui sont déjà venues de Paris et c’est ce qui contribue le plus à cet assombrissement qu’il n’est pas maître de dissimuler. Comme toutes les fois qu’il est au loin, on a, à Paris, calculé sa mort. Quels risques ne courait‑il pas dans cette Espagne où, à toute heure, de chaque buisson, pouvait partir une escopette ? Cette expédition même, tous les hommes raisonnables la trouvaient insensée, jugeaient que Napoléon ne pouvait manquer de s’y perdre. Alors on songe, comme toujours, à ce qui arrivera en cas d’accident ou de désastre. Les « prévoyants de l’avenir » veulent avoir prévu. Talleyrand et Fouché se sont rapprochés et montrés en public, se tenant par le bras, comme s’ils étaient déjà le gouvernement provisoire. On a, enfin, averti l’empereur qu’ils ont pensé à son remplaçant, jeté les yeux sur Murat, avec l’assentiment de Caroline, encore plus aigrie que son mari depuis que le trône d’Espagne leur a échappé. Ces renseignements, en rappelant à Bonaparte la fragilité de sa monarchie, l’inquiètent d’autant plus que, six mois avant, un complot lui a été révélé, complot sur la consistance duquel il n’a pu obtenir de précisions. C’était un complot républicain celui‑là, où paraissait déjà le général Malet, un des fidèles de Moreau, dans lequel on nommait La Fayette, Lanjuinais, les libéraux du Sénat, l’ancien ministre girondin Servan, au total quelque chose d’obscur. Dubois, le préfet de police, ayant d’abord affirmé que la conspiration était sérieuse pour se rétracter ensuite, tandis que Fouché, ministre de la Police, avait réduit l’affaire à rien, quoique le bruit courût qu’il y était lui‑même com-