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NAPOLÉON

tique d’équilibre qui, avant la Révolution, avait été celle de la France. Il ne voyait pas que les circonstances avaient changé aux yeux des autres puissances et que l’équilibre avait été rompu par la réunion de la Belgique et de la rive gauche du Rhin. Alors Alexandre et Metternich accueillent et encouragent les confidences de Talleyrand. Ils s’en servent pour leurs propres fins, concluant que la confiance en Bonaparte a baissé, puisque, dans son entourage même, un homme investi de hauts pouvoirs ne craint pas d’avoir avec eux des intelligences, enveloppées, eût dit Bossuet, « dans l’obscurité d’une intrigue impénétrable » et qui, à ce prévoyant du lendemain, assurent déjà une place au congrès de la paix future.

Napoléon quitte Erfurt trompé, trahi, ne s’avouant pas que l’esprit de Tilsit s’évapore, triste pourtant comme après une fête manquée. Ayant, le jour du départ, cheminé quelque temps avec Alexandre, on le vit, après les adieux, revenir muet et pensif. Jamais plus les deux empereurs ne se reverraient. « Ces diables d’affaires d’Espagne me coûtent cher », disait Napoléon dressant le bilan d’Erfurt. Et pourtant il a obtenu ce qui, dans l’immédiat, lui importe. Il a renouvelé l’alliance russe à un prix qui n’est pas trop élevé, puisque, moins imprudent que Talleyrand ne le pense, il a encore écarté le partage de la Turquie, réservé Constantinople. S’il se méfie de l’Autriche, il se croit assuré qu’elle ne l’attaquera pas tout de suite. Il a carte blanche et, pendant trois mois, les mains libres pour rétablir ses affaires en Espagne. Il n’en demande pas plus, et c’est ce qu’il s’était dit, devant Savary, avec un doute : « En retirant l’armée de Prusse, je vais faire rapidement l’affaire d’Espagne. Mais aussi, qui me garantira de l’Allemagne ? Nous allons le voir. »

Il n’espère pas de réponse de l’Angleterre à l’offre de paix qu’il lui a adressé de concert avec Alexandre. C’est un rite. Pour l’opinion, en France et en