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tour sa santé et des affaires de famille pour obtenir des prolongations de congé. Plus d’un an et demi. C’est beaucoup dans une vie qui sera courte et précipitée, où le temps sera précieux. Mais, en arrivant dans cette Corse qui, de loin, a tant occupé son esprit, il s’aperçoit d’une chose troublante, c’est qu’il en parle mal le langage. Il a oublié le dialecte à tel point qu’il doit se remettre à l’apprendre. Sept années de France ont marqué leur empreinte. Corse, il l’est déjà un peu moins qu’il ne l’imagine, bien qu’il s’applique à l’être avec passion.

Et pourtant, par ce long séjour, il reprend contact avec sa terre. Il a pour elle un amour de tête, l’espèce d’amour la plus obstinée. Il médite toujours d’écrire l’histoire de son île et il recueille des documents, des témoignages. Mais ses journées d’Ajaccio sont tellement prises ! Ce qui les remplit, ce sont les affaires de sa famille, les soucis d’argent, cette désolante plantation de mûriers, qui va de mal en pis, la santé de son vieil oncle l’archidiacre, pour lequel il sollicite une consultation du fameux docteur Tissot par une lettre en beau style que le grand praticien laissa sans réponse. Le congé expiré, l’Histoire de la Corse sera encore à l’état de projet.

« Le sieur Napoléon de Buonaparte, lieutenant en second au régiment de La Fère artillerie », écrit pourtant beaucoup. Maintenant ce sont des suppliques. Le voilà devenu solliciteur, comme son père. Letizia le presse d’intervenir auprès des bureaux et des ministres. Elle-même a vainement envoyé réclamation sur réclamation, multiplié les mémoires justificatifs, signés « veuve de Buonaparte », pour obtenir les indemnités promises à la pépinière. Si l’on veut obtenir quelque chose, il faut suivre l’exemple du père, réclamer sur place, s’adresser directement à Versailles. Napoléon fait le voyage. Le voici à Paris, la bourse légère, mais,