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LE PREMIER NUAGE VIENT D’ESPAGNE

Murat, faisait une entrée mélancolique et de mauvais augure dans son nouveau royaume. Il y trouvait çà et là quelques grands seigneurs pour le servir, pas un palefrenier. Avec clairvoyance, il écrivait à son frère, dès le lendemain de son installation, à l’Escurial : « Vous vous persuaderez que les dispositions de la nation sont unanimes contre tout ce qui a été fait à Bayonne. » Éclairé lui‑même, sans convenir de l’erreur — et puis il est trop tard pour reculer — Napoléon a déjà pris ses mesures pour « inonder » l’Espagne de ses troupes, ne doutant pas d’étouffer les insurrections qui éclatent, estimant impossible que des bandes de fanatiques fussent capables de tenir en échec les soldats qui avaient battu tous ceux de l’Europe. Un accident, une première trahison de la fortune décideraient autrement. L’Espagne qui, sous un roi français, devait être une auxiliaire, deviendra un boulet. Tout ce qui a été fait pour interdire la péninsule à l’Angleterre introduira les Anglais qui prendront pied sur le continent. Chose pire, quoique moins visible, l’instrument de la puissance, celui qui permet d’imposer à l’Europe la dure loi du blocus, la Grande Armée, cette phalange invincible, sera désormais coupée en deux. Comme la Convention avait eu contre elle l’Europe et les Vendéens, l’empereur aura aussi l’Espagne, plus grande Vendée.

Le fanatisme, Bonaparte l’a déjà rencontré en Égypte, où il a déployé sa virtuosité de manieur d’hommes. En Espagne, l’exaltation nationale et religieuse lui prépare une guerre épuisante et des difficultés inconnues. Et à quel moment ? Lorsque l’empereur, pour les mêmes raisons qui ont déterminé son intervention à Lisbonne et à Madrid, vient de se mettre en conflit avec la papauté.

Pourquoi Napoléon qui, dès la campagne d’Italie, ménageait Rome, qui avait compris l’importance de l’Église catholique, qui en avait recherché l’ap-