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NAPOLÉON

sailles, la déposition du roi Constantin, la Grèce tout entière eût pris les armes et qu’il eût fallu, village par village, la conquérir jusqu’au fond du Peloponnèse. Les Alliés de 1917 eussent été moins étonnés que l’empereur quand il vit l’Espagne entière soulevée.

C’était encore un de ses principes que « les hommes supportent le mal lorsqu’on n’y joint pas l’insulte ». Il voulait le bien et le progrès de la nation espagnole, il lui apportait l’ordre et les lumières et il croyait avoir assez ménagé l’orgueil castillan en sollicitant avec adresse la double renonciation du roi et de son fils, en leur rendant des honneurs royaux, en leur assurant une retraite dorée, en témoignant des égards particuliers à celui qu’il appelait « l’infortuné Charles IV ». L’insulte, à ses yeux, eût été de renverser brutalement cette dynastie, ce qu’il se félicitait d’avoir évité. Il n’imaginait pas que l’Espagne dût prendre fait et cause pour la légitimité, alors qu’il s’agissait d’une famille qui ne régnait pas depuis plus d’un siècle, et nul ne paraissait moins digne d’amour que Ferdinand VII dont il venait de voir de près la triste figure et le caractère sans grandeur. Quand il pensait que les Français avaient guillotiné l’excellent Louis XVI, il ne lui venait pas à l’idée que les Espagnols se sacrifieraient pour ce mauvais fils, « bête au point que je n’ai pu en tirer un mot…, indifférent à tout, très matériel, qui mange quatre fois par jour et n’a idée de rien ». Comme beaucoup d’hommes très intelligents, l’empereur, toujours prompt à trouver que les autres étaient des bêtes, n’en calculait pas moins comme si l’espèce humaine se décidait par la raison. Le fanatisme le déconcertait.

Tandis que le peuple espagnol, en haine de l’étranger et par entêtement d’indépendance, prenait Ferdinand VII pour drapeau et pour idole, Joseph, quittant avec regret Naples qui passait à