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LE PREMIER NUAGE VIENT D’ESPAGNE

réflexions et lui rapporte de l’empereur une lettre captieuse, subtilement perfide. Maintenant le parti de Napoléon est bien pris. Il tend ses filets et Ferdinand, par peur de son père, y tombe, se décide brusquement à continuer le voyage, apaisant et rassurant la foule qui cherche à le retenir. Que Ferdinand restât en Espagne, les choses prenaient encore une fois un autre cours et la difficulté eût peut‑être fait réfléchir l’empereur. Ce sont, au contraire, des facilités que la destinée lui offre comme si elle voulait à tout prix que la fortune de Napoléon allât se perdre en Espagne. Et puis, désormais, il le veut lui-même. Ordre est donné à Bessières qui commande l’armée française d’Espagne d’arrêter le prince des Asturies s’il rebrousse chemin, car il est certain qu’il se mettra sous la protection de l’Angleterre s’il refuse de venir à Bayonne, puisqu’il n’aura plus refusé que par méfiance. Le sort, cette fois, en est jeté.

Ferdinand passe enfin la Bidassoa. Il n’abandonne son royaume, ses sujets dont il est l’idole, que pour apprendre qu’il ne régnera pas et s’apercevoir qu’il est prisonnier.

Après des calculs, une longue pesée du pour et du contre, les « perplexités » qu’on avoue, l’occasion s’est enfin présentée. L’empereur, comme toujours, l’a saisie. Selon sa méthode, en politique et à la guerre, il a agi vite et à fond depuis que sa décision est prise. Il pense désormais que les affaires de cette dynastie l’ont trop occupé, qu’il faut qu’elle disparaisse, sinon tout se gâtera. Junot n’est‑il pas en danger à Lisbonne, alors qu’il a déjà fallu aller jusque‑là pour soustraire le Portugal aux Anglais ? Tout se présente maintenant à l’esprit de Napoléon comme une succession d’événements nécessaires et d’une nécessité qui impose les solutions rapides, donc brutales, extrêmes, à tous risques, parce que l’attente aussi en est un.

Cette jouissance était réservée à Bonaparte de