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NAPOLÉON

Dans la complexité de ses combinaisons, il n’y a qu’un élément que Napoléon omette, le peuple espagnol lui-même. Par un mouvement soudain et spontané, ce peuple renverse ses calculs. Le lendemain du jour où l’empereur a écrit à Murat que l’essentiel était de rassurer tout le monde, d’éviter les violences, une émeute éclate à Aranjuez. Il est bien arrivé, comme Napoléon l’espérait, que Godoy a préparé sa fuite et celle de la cour. Mais quand ces préparatifs deviennent évidents, la foule se soulève pour empêcher le départ du prince royal, qu’elle aime contre le favori. L’émeute éclate et Charles IV, épouvanté, abdique pour éviter une révolution.

La nouvelle erreur de Napoléon, entretenue par Murat, fut de croire que cet événement imprévu résolvait tout quand il aggravait les choses et les embrouillait sans remède. Murat, joyeux, croit que le trône d’Espagne est vide. Il se garde, Charles IV ayant abdiqué, de reconnaître le prince des Asturies, alors que les Espagnols comprennent que Ferdinand VII a régulièrement et légitimement succédé à son père et qu’il est désormais leur roi. Cependant le vieux Charles IV, revenu de ses frayeurs, peut‑être excité en sous-main, rétracte sa renonciation au trône, prétend qu’elle lui a été arrachée par la contrainte. La querelle du père et du fils renaît. Murat, subtilement, leur conseille de prendre Napoléon pour arbitre et d’aller plaider chacun sa cause auprès de lui. Ainsi le piège de Bayonne est déjà prêt lorsque la nouvelle des événements d’Aranjuez décide Napoléon à en finir. Le stratagème du départ ayant fait long feu, il adopte celui que Murat suggère. Par une singulière rencontre, l’instrument, le factotum qu’on emploie pour ce guet-apens tendu à d’autres Bourbons, c’est encore Savary. Homme de confiance au jugement sommaire de Vincennes, Savary reçoit la mission de surveiller Charles IV et Ferdinand, de leur faire passer