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NAPOLÉON

quelqu’un sous la main pour les remplacer. Napoléon songe à Joseph ou à Louis, bien qu’il ne soit pas plus content de l’un à Naples que de l’autre à La Haye. Mais son esprit flotte entre plusieurs combinaisons sans se fixer encore sur aucune. Toujours pour avoir la certitude que l’Espagne ne se livrera pas aux Anglais, un de ses projets consiste même à l’occuper jusqu’à l’Ebre, à former avec les provinces espagnoles du Nord des « marches » suivant le modèle que Charlemagne avait donné… Il y aura un Roncevaux.

Désormais, quelque parti qu’il doive prendre, Napoléon ne peut plus se dispenser d’intervenir dans les affaires de cette péninsule. Depuis que Junot est à Lisbonne, l’empereur s’aperçoit qu’il serait absurde de partager le Portugal avec une Espagne qui collabore à peine à l’expédition et dont le gouvernement n’est pas sûr. Les hésitations de Napoléon, les ménagements qu’il garde malgré tout pour ces Bourbons de Madrid qu’il méprise, ont alors cet effet de le pousser aux manœuvres obliques, de le rendre suspect aux Espagnols, de prêter aux accusations de fourberie. À tout événement, il accroît le nombre de ses troupes en Espagne, comme un allié, sans doute, mais aussi comme un tuteur, et cette invasion pacifique fait murmurer le peuple espagnol. Ce n’est pas tout. Afin de surveiller de plus près Charles IV et Godoy, il délègue auprès d’eux Murat avec l’ordre d’observer, d’attendre, d’être prudent, sans lui dévoiler ses projets, pour la raison qu’il n’en a encore arrêté aucun. Mais cette mission de Murat sera le principe d’une autre faute de jugement qui ouvrira un cortège de méprises funestes.

Avec ce tour littéraire dont il avait le goût, Napoléon écrivait un jour à Talleyrand : « Vous savez qu’il est assez dans mes principes de suivre la marche que tiennent les poètes pour arriver au développement d’une action dramatique, car ce qui est brusque ne porte pas à vrai. » Dans ces affaires d’Es-