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NAPOLÉON

savantes préparations, qui est l’objet de tous ses soins, avec la paix continentale dont il est l’auteur et le protecteur. Il surveille les militaires, qui ne le comprennent pas toujours et le compromettent souvent, il les rabroue pour leurs écarts de langage, tel Davout, le vainqueur d’Auerstædt : « Les bruits de guerre avec l’Autriche sont absurdes. Vous devez tenir constamment le langage le plus pacifique ; le mot de guerre ne doit jamais sortir de votre bouche. » Qui penserait que cet empereur si sage dût commettre des folies ? Et, « maître ou ami de tous les rois du continent », allié à plusieurs par les mariages de ses proches, sûr de l’Europe par les garnisons qu’il a partout, par la Grande Armée, par les traités qu’il a signés, les territoires qu’il a répartis, quel péril le menace ? Après son retour de Tilsit, il s’était installé à Fontainebleau. Il y eut là deux mois d’une vie de cour brillante, dans une affluence de princes étrangers, quelque chose qu’on n’avait pas vu depuis Louis XIV et les grands jours de Versailles.

Mais c’est un peu comme Louis XIV s’était établi à Versailles qu’il est allé à Fontainebleau. Il se méfie de ce Paris qui a mauvaise langue, où l’opinion est insaisissable. Il pensera même à loger chez le grand roi, il fera réparer le château parce que, dit-il quelquefois, les Parisiens ne lui ont pas pardonné le 13 vendémiaire. Derrière ce masque impassible, sous ce front de Jupiter, domine l’idée secrète que l’Empire est fragile, qu’il reste toujours à l’affermir, l’idée que sa mère, la bonne ménagère d’Ajaccio, riche en prudents proverbes corses, étonnée de sa haute fortune, et qui entasse en vue des mauvais jours, traduit par un hochement de tête : « Pourvu que cela dure ! »

L’impression que l’empereur voudrait surtout effacer, c’est celle de tant de gens qui ne voient en lui qu’un joueur heureux et qui, au premier signe d’un retournement du sort, sont prêts à sauver leur