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NAPOLÉON

siens et c’est par là que viendront la brouille et la rupture. Il restera les États du pape et les États scandinaves, la Suède, le Danemark, qui devront aussi refuser d’acheter et de vendre aux Anglais. À cela doit encore servir l’alliance russe. Alors la tunique sans couture du blocus sera passée sur le continent.

« L’ouvrage de Tilsit réglera les destins du monde. » Il y avait l’ouvrage de Tilsit, l’amitié de Tilsit et même le style de Tilsit, celui dans lequel s’étaient épanchés, cœur à cœur, les deux souverains. Il y eut aussi, et chez Napoléon seul, l’enivrement de Tilsit. Il avait trop l’expérience de la guerre pour ne pas savoir à quoi les victoires peuvent tenir. Malgré sa connaissance, son mépris des hommes, il n’avait pas assez l’expérience de la diplomatie pour apprécier exactement le fond qu’il pouvait faire sur l’alliance russe. Il s’en exagéra la valeur, la portée, la solidité, parce qu’elle devenait la base de sa politique tandis qu’Alexandre murmurait à l’oreille d’un Prussien : « Avec les circonstances, la politique pourra changer. » Mais il semble à Napoléon qu’il lui suffira d’être, pendant quelques années seulement, l’allié de la plus grande puissance du continent pour que rien ne puisse lui résister. Le principe de ses fautes les plus graves est là. Il fut victime du mirage russe. Il n’était pas le premier et il ne devait pas être le dernier.

À partir de Tilsit, Napoléon ne ménage plus rien. C’est le mot, l’aveu naïf, la clef que Champagny, parlant au ministre de Portugal, livre à l’histoire : « D’accord avec la Russie, il ne craint plus personne. » Il en oublie toute prudence et les erreurs qu’on lui reproche le plus, affaires de Rome et d’Espagne, datent également de la période qui suit les effusions théâtrales sur le radeau du Niémen.

Cependant si les violences s’aggravèrent, Napoléon ne fut pas seul coupable. La réponse de l’Angleterre à l’alliance franco‑russe avait été rude. Le 2 septembre, après une sommation au Danemark, elle