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CHAPITRE II

L’UNIFORME D’ARTILLEUR


Désigné pour le régiment dit de La Fère, le cadet-gentilhomme obtient la garnison qu’il désire. Valence, c’est le midi, le chemin de la Corse et le régiment fournit deux compagnies à l’île, de sorte que Bonaparte a l’espoir d’être envoyé dans son pays. Le cœur toujours nostalgique, il y vit par la pensée. Il s’en fait même, par l’imagination et la littérature, une idée tellement embellie que la réalité le décevra. Au fond, cette Corse qu’il a quittée à neuf ans, il la connaît par les ouvrages de ceux qu’il appellera un jour des idéologues. Il se la représente d’après Rousseau qui n’y a jamais mis les pieds et qui en a fait l’image d’une République idéale, d’une terre d’hommes libres, égaux, vivant selon la nature.

Ce petit officier est un cérébral. Tandis que son camarade des Mazis méprise les bouquins, pense aux femmes et à l’amour, l’adolescent Bonaparte rêve aussi. Mais, de Jean-Jacques, il prend la part du Contrat social, non celle de la Nouvelle Héloïse. Il approfondit le droit naturel et les constitutions. Plus que jamais il est dans les livres, et le démon d’écrire le tourmente déjà. Il écrira de mieux en mieux, même quand, cessant de tenir la plume trop lente, il dictera sa correspondance et ses mémoires. C’est un homme de lettres, comme on l’est dans sa famille, comme l’était l’ancêtre italien Jacopo Buonaparte qui a laissé un récit du sac de Rome,