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NAPOLÉON

« qui porte avec elle la garantie de sa durée », parce qu’« il est temps d’en finir et que notre patrie vive en repos à l’abri de la maligne influence de l’Angleterre ». En finir, c’était le besoin de Friedland et c’est l’illusion de Tilsit. Car Napoléon est prêt à beaucoup de choses pour obtenir l’alliance de la Russie. Mais lui‑même ne voit pas non plus qu’Alexandre ne sera qu’à moitié sincère parce qu’il a des raisons immédiates et impérieuses de conclure une paix qu’autour de lui on réclame très haut, dans un découragement et une débandade où s’abolit la discipline, où le tsar n’est peut‑être pas en sûreté et peut craindre, comme il arrivera cent dix ans plus tard à Nicolas II, l’abdication imposée, en pleine guerre, par le militaire en révolte.

Sentimental et mystique, sujet aux revirements soudains, Alexandre calculait beaucoup. Autrement que Napoléon sans doute. Il se décidait pourtant comme lui et comme la plupart des hommes par les circonstances, ce qui fera qu’ensuite ils se traiteront réciproquement de fourbes. Novossilov souffle à l’oreille du tsar que, s’il s’allie avec la France, il devra craindre, en revenant à Saint-Pétersbourg, le sort de Paul Ier. Mais, dans le moment, l’armée russe est incapable de résistance et Alexandre reçoit des offres de paix inespérées. Alors tout ce que Napoléon a fait depuis des mois pour rendre la réconciliation passible porte son fruit. Dans les heures mêmes qui suivent Friedland, il laisse percer son désir de traiter à des conditions honorables. Et il se réserve d’éblouir Alexandre par des conditions qui seront généreuses et magnifiques.

Les deux empereurs se rencontrèrent à Tilsit dès le 25 juin. Et cette rencontre, avec son caractère de théâtre, produisait en faveur de Napoléon l’effet d’un immense succès moral. Il est l’homme vraiment extraordinaire qui réussit tout, à qui tout réussit, qui dispose de la paix comme de la guerre. Ce radeau au milieu d’un fleuve hyperboréen, où, sous