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NAPOLÉON

Après avoir, avec une mise en scène sentimentale, gracié Hatzfeld, il se hâte d’écrire à la princesse Ferdinand de Prusse, qui est restée à Berlin, une lettre dont le sens, à peine voilé, est celui-ci : « Vous voyez bien que je ne suis pas un ogre. Faites donc savoir à vos parents qu’on peut s’entendre avec moi. »

Des rigueurs, certes, puisque c’est la guerre et qui a ses nécessités. Napoléon, n’étant pas encore lui‑même comme un assiégé dans son grand Empire, n’en est pas encore non plus à pousser tout le monde à bout. L’agression de la Prusse a eu des complices. Il en est auxquels il ne pardonne pas. L’électeur de Hesse-Cassel, « plus que Prussien, Anglais », est dépossédé avec ce motif humanitaire qu’il faisait le commerce de ses sujets et les vendait à l’étranger pour en faire des soldats. Ses États iront au royaume de Westphalie, qui complétera le système germanique de l’empereur et qui est destiné à Jérôme, au plus jeune frère. L’électeur de Saxe a, lui aussi, suivi la Prusse. Non seulement Napoléon lui pardonne, mais il le fait roi comme ses collègues de Bavière et de Wurtemberg, il l’ajoute à la clientèle de l’Empire où ce Saxon, sinon ses sujets, se signalera d’ailleurs par sa fidélité et il lui destine encore mieux.

Ainsi, derrière lui et devant lui, Bonaparte s’applique à préserver quelques passerelles. Contraint de se battre avec les Russes, il veut se ménager les moyens d’une réconciliation avec Alexandre. Il évite la lutte à outrance, par les moyens empoisonnés, redoutables pour l’ennemi, nuisibles à ceux qui s’en servent. Ici Napoléon est plus politique que guerrier. Quand on veut reconnaître chez lui de l’italien, discerner du Machiavel, c’est là qu’on peut le trouver. Il pousse jusqu’à la duplicité la finesse, les habiletés, le calcul.

Marchant au‑devant des Russes sans les attendre et sans les laisser approcher, il est allé de l’Elbe à la Vistule, et il atteindra bientôt le Niémen. Le voici