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L’ÉPÉE DE FRÉDÉRIC

tinentales marchent ensemble, si elles concertent leur action, la France sera mise dans une situation pénible, elle sera au moins contenue, obligée de se tenir sur la défensive, en attendant que le reflux commence. Sans doute Napoléon est un très grand capitaine. Sans doute il dispose souverainement, en dictateur, des amples ressources d’une nation qui avait tenu tête à l’Europe lorsqu’elle était dans les convulsions de l’anarchie, qu’il a prise en main lorsqu’elle était sur le point de succomber et qui maintenant est portée à son plus haut degré de force et de puissance. Il n’en est pas moins vrai que jamais encore Bonaparte n’a eu à combattre tous ses adversaires à la fois. À Austerlitz, l’appoint autrichien qui s’ajoutait à l’armée russe était peu de chose depuis le désastre de Mack à Ulm. Et voici que, par l’agression prématurée de la Prusse et pour le bonheur de Napoléon, l’ennemi s’offre encore à ses coups en ordre dispersé.

À quel moment ? Celui où il commence à sentir lui‑même que le poids est lourd à porter et que l’arc se tend beaucoup. Supposons qu’il eût réussi à stabiliser l’Empire dans la situation qui résultait de la paix de Presbourg. C’était déjà embarrassant. Se maintenir sur une ligne qui allait du royaume de Hollande au détroit de Messine et aux bouches de Cattaro en passant par la Confédération germanique, demandait un gros effort qui n’eût, du reste, même en se prolongeant, abouti à rien. Étendu de la Frise à la Calabre, l’Empire français forme un vaste front de mer contre les Anglais. C’est sa raison d’être. Et, sans doute, l’Angleterre en est gênée puisqu’elle doit élargir considérablement son blocus maritime. Mais ce n’est qu’une gêne. Il reste tant de côtes, tant de ports par où elle est libre d’introduire ses marchandises sur le continent ! Tel qu’il est avec ses bastions et ses prolongements, ses protégés et ses feudataires, le grand Empire français n’est pas encore assez vaste, l’Europe n’est pas