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AUSTERLITZ MAIS TRAFALGAR

Talleyrand lui conseille de commencer par l’Autriche. Mais l’alliance autrichienne est mal famée pour la France de la Révolution. C’est celle qui a porté malheur à Louis XVI. « Elle n’est pas du goût de ma nation et, pour celui‑là, je le consulte plus qu’on ne pense. » Napoléon ne songe pas encore à devenir le gendre du César germanique. Pourtant, jusqu’à un certain point, il l’épargne. Il ne s’attarde pas à la satisfaction d’avoir reçu à son bivouac, le surlendemain d’Austerlitz, ce Habsbourg réduit à solliciter la paix du Corse parvenu. Cette paix — qui sera signée à Presbourg — il l’accorde ; la vieille monarchie, il ne la détruit pas, ce qui voudrait encore un gros effort militaire, et il a hâte que la coalition soit dissoute. Alors la difficulté est toujours la même. Anéantir l’Autriche, c’est continuer une guerre dont l’objet principal est ailleurs. Ne rien lui prendre, c’est la laisser trop puissante, et surtout il y a des choses que Napoléon doit lui enlever. Il faut qu’elle renonce tout à fait à l’Italie par où, depuis si longtemps, l’Empire germanique domine l’Europe et menace la France. Il faut qu’elle renonce aussi à l’autre rive de l’Adriatique, et c’est encore une partie de la politique que Napoléon inaugure, la politique d’après Trafalgar, celle qui consiste à prendre possession des rivages européens pour les fermer à l’Angleterre. Le passage de la Manche n’étant plus qu’un souvenir, l’autre système, celui du blocus continental, s’ébauche. Il faut, en outre, que l’Autriche accepte un vaste remaniement de l’Allemagne avec l’abolition de l’antique Saint‑Empire d’où elle tirait son prestige. Il faut enfin, et l’exigence a de la naïveté, qu’elle promette de ne plus s’allier aux ennemis de la France. Serment qui ne peut pas être plus sincère qu’après Campo-Formio et Lunéville, car on lui en retire trop pour qu’elle se résigne, pas assez pour qu’elle soit réduite à l’impuissance. Austerlitz est une victoire qui ne règle rien de plus que les autres.