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AUSTERLITZ MAIS TRAFALGAR

voyait pas dans l’histoire avec la figure d’un Titan foudroyé, d’un Prométhée puni par des dieux, d’un héros martyr. La gloire qu’il désirait c’était de réussir ce qui avait échappé à ses prédécesseurs, ce que la Convention n’avait pas obtenu. Il serait celui qui, plus grand que Louis XIV, aurait dicté aux Anglais la loi de la France, achevé l’œuvre nationale, gagné le premier, sur la ruine d’Albion, le grand procès héréditaire. Ce qu’il voyait, puisque la paix d’Amiens avait été rompue, c’était une paix plus glorieuse, une paix certaine, définitive, l’adversaire principal ayant été subjugué ou détruit. Car il ne mettait pas en doute qu’une fois débarqué sur la rive ultérieure il ne recommençât Jules César et Guillaume le Conquérant et ne vînt à bout de la résistance qu’il pourrait rencontrer. C’est probable, en effet. L’Angleterre n’avait pas de soldats à opposer à une invasion. Quant à la flotte britannique, privée de ses ports d’attache et de ravitaillement, elle eût été bientôt hors de combat. Nelson lui-même ne l’eût pas sauvée.

Après avoir adjuré ses amiraux de lui assurer quatre jours, puis trois, puis deux, de libre passage, Napoléon ne leur demande plus que vingt-quatre heures. Tout est calculé pour qu’en deux marées l’armée soit transportée à Douvres. Sur la grève de Boulogne, l’empereur, au mois d’août 1805, attend que ses escadres aient exécuté la diversion qu’il a conçue. Mais tout s’unit, les éléments et les hommes, pour le décevoir. Jamais Napoléon ne s’est tant plaint d’être si mal compris, si mal servi. Depuis le mois de mars les contretemps se succèdent. Villeneuve a réussi à sortir de Toulon, il a échappé à Nelson qui surveille la Méditerranée, il a rallié les navires espagnols qui se joindront aux nôtres, car alors, contre l’Angleterre, l’Espagne et la Hollande sont nos alliées. En résumé, le plan