Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/254

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
LE FOSSÉ SANGLANT

mais qui, sur le moment, imposait silence à tous ceux qui disaient que la bénédiction du ciel manquait à l’usurpateur. Cependant, cette couronne bénite, Napoléon, qui la tenait du peuple, l’aurait, pour les républicains, défendue contre une autre usurpation, tel, à Tolentino, quand, après avoir causé poliment avec les cardinaux, il rapportait au Directoire ses négociations avec la « prêtraille ». Cette double manœuvre, commandée par les circonstances, lui était devenue habituelle. L’empereur, en invitant Pie VII, avait écrit : « Je prie Votre Sainteté de venir donner, au plus éminent degré, le caractère de la religion à la cérémonie du sacre et du couronnement. » Le pape trompé ne put que dévorer l’affront. En sortant de Notre‑Dame, il avait fait savoir qu’il serait contraint de protester, de citer les promesses qu’il avait reçues si l’enlèvement de la couronne était mentionné dans le récit officiel de la cérémonie. On s’en tira en ne publiant aucun compte rendu au Moniteur. Qu’importait à Napoléon ? Tous les effets qu’il attendait du sacre, il les avait obtenus sans compromettre l’autre caractère de sa souveraineté.

Car le serment du sacre, ce n’est encore qu’un serment de fidélité à la Révolution française. Sur l’Évangile, l’empereur a juré de maintenir l’égalité et même la liberté, et aussi la propriété des acquéreurs de biens nationaux, mais surtout, et en premier lieu, « l’intégrité du territoire de la République ». C’est pour cela, c’est pour protéger toutes ces conquêtes que la République s’est livrée à un homme, qu’elle lui a confié le pouvoir suprême. Et ce serment, Napoléon le tiendra parce qu’il est la raison d’être de sa monarchie.

Dans cette journée du 2 décembre 1804, à Notre‑Dame, en grand costume d’apparat, le sceptre en main, déjà prêt pour l’immortalité, il eut son mot humain : « Joseph ! si notre père nous voyait ! » Minute d’émotion sans fadeur, comme on l’attend