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20 NAPOLEON ques lignes touchantes inspirées par le passage du poème, alors fameux, des Jardins, où un Tahitien retrouve avec des transports de joie un arbre de sa terre natale. Napoléon se reconnaissait dans cet humble sauvage. Il se réfugiait dans la vision de son île où l’oranger embaume le printemps. Et il se sentait encore plus corse qu’il ne l’eût été à Ajaccio. Quand il disait à son camarade Bourrienne, plus tard son secrétaire : « Je ferai à tes Français tout le mal que je pourrai », c’était un mot d’enfant irrité des brimades. Il est certain qu’il a pris à Brienne un amour passionné de son île, amour qui lui a, du reste, passé assez tôt. Mais, au fond, il n’avait pas gardé du collège un si mauvais souvenir. Sinon, pourquoi eût-il, plus tard, comblé ses anciens maîtres et ses anciens camarades, jusqu’au portier qui fut engagé à la Malmaison ? Sa mémoire exacte, n’avait oublié personne. Il n’avait pourtant de rancune pour personne. Et, comme tout le monde, il avait fini par penser que les années de collège étaient encore le bon temps. En 1805, empereur, traversant Brienne, il s’arrêtera dans la vieille maison, évoquant le passé. Il y reviendra en 1814, pour se battre, un peu avant la fin…

Comme les autres aussi il avait eu, pendant ses classes, des heures d’amusement et des affections. Il n’était peut-être pas l’ami de Bourrienne autant que celui-ci l’a prétendu. Mais enfin, ayant besoin d'un secrétaire, le premier Consul choisira Bourrienne, qu’il a connu au collège. Et il avait d’autres camaraderies. La malveillance qu’il avait d’abord rencontrée avait fondu. Le petit Corse renfermé avait passé pour bizarre et hargneux. Ensuite, il fut estimé pour son caractère. Il le fut des élèves comme des maîtres. L’école l’acclama, l’hiver où il dirigea selon les règles de l’art de la guerre une bataille, restée célèbre, à coups de boules de neige. Il eut même le plaisir de voir ses bastions et ses remparts admirés des habitants de Brienne. Il n’avait pourtant