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LE FOSSÉ SANGLANT

Charlemagne, Bonaparte cherche à frapper l’imagination des peuples. Il vise autre chose. C’est encore une « ancre de salut » qu’il jette au fond de la mer. Peut‑être a-t-il l’illusion que l’onction garantira son pouvoir en lui donnant un caractère légitime et sacré. Peut‑être aussi, ne s’abusant pas, se sert‑il de ce moyen comme il se sert de tous les autres. Si le fossé de Vincennes, qui l’a rendu insoupçonnable pour les révolutionnaires les plus purs, les fait passer sur le sacre, le sacre à son tour lui procure l’absolution, lave le sang d’Enghien, attache l’Église et les catholiques à l’Empire.

Non pour toujours ni même pour longtemps. Dans cette espèce de bousculade que sera son règne, pressé par mille nécessités qui se contredisent, Bonaparte défera ce qu’il aura fait, et un jour viendra où il s’aliénera le catholicisme en maltraitant le pontife souverain. Mais, en ce moment, il concilie tout et tout lui réussit. « République française, Napoléon empereur », la légende frappée sur les monnaies n’est pas une hypocrisie. C’est l’image d’un tel bonheur au jeu que Bonaparte gagne sur tous les tableaux. Le pape bénit l’élu de la Révolution. Le plébiscite a été une autre forme du sacre. Napoléon a pour lui la voix du peuple et la voix de Dieu. Qui donc écoute la protestation que Louis XVIII lance de Varsovie ? La France catholique voit le rétablissement du culte confirmé, l’autorité de l’Église reconnue par celui qui, dès lors, n’est plus tout à fait un usurpateur. Et la France de la Révolution transpose le « Paris vaut bien une messe ». Elle n’en est plus à une « capucinade » près, puisqu’elle a voulu l’Empire pour que ses conquêtes, toutes ses conquêtes, civiles et militaires, lui fussent « conservées » comme Napoléon l’a promis et le jurera à Notre-Dame, consacrant sur l’Évangile, en même temps que sa couronne, la propriété des biens nationaux.

Mais, dans sa pensée vaste et rapide, le sacre s’en-