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L’ILLUSION D’AMIENS

cerner, comme à un autre Charlemagne, quelque chose qui ressemble déjà moins à une magistrature civile qu’à la couronne de fer des rois lombards. Est‑ce l’ambition, un rêve atavique qui pousse Bonaparte à régner sur cette Italie où, naguère, il arrivait inconnu ? Mais la transformation de la République cisalpine en République italienne, sous la tutelle de la France, nécessaire pour protéger la jeune nationalité contre l’Autriche, c’était une idée de la Révolution, la suite de tout ce qui s’était fait depuis dix ans après avoir été conçu depuis un demi-siècle. De même l’annexion du Piémont qui couvre la Lombardie, l’occupation de la Hollande qui couvre la Belgique. De même, en Allemagne, les sécularisations, les remaniements territoriaux qui compensent la réunion à la France de la rive gauche du Rhin, qui refoulent l’Autriche, tandis qu’en avantageant la Prusse on recherche toujours son alliance, font du premier Consul l’arbitre de la Confédération germanique. Celle-ci succédera bientôt au Saint‑Empire pour préparer l’éveil de la nation allemande. Causes, effets se mêlent, s’engendrent sans cesse dans ce grand brassement de l’Europe qu’a exigé la conquête des frontières naturelles. Pour l’instant, la France s’élève sur ces décombres et Bonaparte avec elle. De même encore, il devient médiateur de la Confédération helvétique, arbitre entre ses partis, protecteur de la Suisse, qui, envahie sous le Directoire, est le bastion avancé des conquêtes républicaines, une barrière contre l’Autriche.

Arrêtons‑nous à ce moment lorsque, de tous côtés, et par le jeu naturel des choses, viennent au premier Consul des grandeurs auxquelles ne manque plus que la consécration suprême. À ces commencements d’une apothéose par laquelle il récolte le bon de tout ce qui a été semé avant d’en récolter le mauvais, un doute, une énigme se proposent à l’esprit. Bonaparte a‑t‑il partagé l’illusion des Français ? A-t-il cru