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NAPOLÉON

République glorieuse, indépendante, qui, ayant atteint les buts de la nation, a remis l’épée au fourreau et dédaigne la couronne. Il aime à se présenter sous les traits du législateur et du grand administrateur. Le premier Consul visitant les manufactures de Lyon, les fabriques de Rouen, les bassins du Havre, le canal de l’Ourcq et celui de Saint‑Quentin, ce sont d’autres motifs d’imagerie populaire, des sujets de gravure qui font un pendant bourgeois au pont d’Arcole et au passage du Saint‑Bernard. Avec la Banque de France, le Grand Livre de la dette publique, la création des Chambres de commerce, c’est sa période et son côté « poule au pot ».

Cependant, parmi ces occupations d’une magistrature citoyenne, l’inquiétude poursuit Bonaparte. Joséphine croit le deviner. Elle lui demande quand il la fera impératrice des Gaules. Il ne répond pas à ce mot de femme. Ce qui le tourmente, ce n’est pas une ambition immodérée, ce n’est pas la tentation du sceptre. Il calcule et suppute sans cesse. Il sent que, pour garder son autorité telle qu’il l’a maintenant, il doit l’accroître, que, pour rester où il est, il sera obligé de monter encore plus haut. Le tour de force n’était pas d’arriver au pouvoir. C’est de s’y maintenir, et il ne s’y maintiendra que s’il a des instruments de règne. Il ne peut pas demeurer à mi‑côte, bien que, l’ascension achevée, la difficulté, celle de durer, doive devenir promptement la même. Parvenir au faîte est moins un désir qu’une nécessité. Or il y faudra toujours les « circonstances » saisies au vol, exploitées utilement, provoquées au besoin, et, surtout, il faudra jeter des fondations solides, préparer les institutions qui seront les bases du régime. C’est à quoi tend désormais tout ce que Bonaparte fait de neuf et qui rencontre encore la résistance clairvoyante des derniers républicains réfugiés au Corps législatif et au Tribunat.