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NAPOLÉON

question. Nous savons maintenant que ce n’était pas crainte d’aller trop vite et de demander trop d’un seul coup, ni timidité devant l’opposition républicaine, fût-ce celle de l’armée. Sans doute, l’hérédité, c’était la monarchie sans déguisement, sans phrase. C’est alors qu’on pourrait encore lui reprocher tous les hommes qui s’étaient fait tuer pour détruire ce qu’il rétablirait. Mais quel successeur désigner ? Idée qu’il écarte toujours, qu’on ne cesse de lui présenter, dont on l’obsède. L’esprit de clan, l’esprit corse, a été tellement exagéré dans les explications et les clefs qu’on a voulu donner de lui, que, si Napoléon répugne à quelque chose, c’est à léguer son pouvoir à ses frères. Et pourquoi donc ? Quel titre y ont‑ils ? Avec son bon sens brutal, il trouve leurs prétentions ridicules. Il pense d’eux ce qu’il dira bientôt ironiquement à ses sœurs. S’imaginent-ils qu’il s’agit de l’héritage « du feu roi notre père » ? Plus Joseph, jaloux, tortueux et qui se plaint en arrière, plus Lucien, toujours violent, qui aime et cherche les scènes, poussent à l’institution d’un pouvoir héréditaire dont ils se disent, sans avoir le sentiment d’être comiques, les ayants droit légitimes, et plus il lui déplaît qu’on regarde sa succession comme ouverte. À ce moment‑là encore, l’hérédité n’a pas d’adversaire plus résolu que lui. En faveur de qui, au surplus, jouerait-elle ? Remonterait-elle à Joseph, c’est-à-dire du second des frères à l’aîné ? Napoléon n’a ni enfant ni espérance d’en avoir avec Joséphine. Lucien se moque même de sa belle‑sœur et lui conseille de faire vite un petit Césarion. Quand on souffle à Bonaparte l’idée de l’adoption, sa répugnance est la même. Qui adopter ? Il est encore si jeune — rappelons‑nous qu’il a trente-trois ans seulement — qu’il n’y a pas une telle différence d’âge entre lui et, par exemple, son beau‑fils Eugène. Il persiste à ne pas vouloir, à ses côtés, d’un remplaçant, d’une doublure, d’un titu-