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L’ILLUSION D’AMIENS

s’adresse directement au peuple, dont il déclare tenir son autorité, pour se faire déléguer, après le Consulat à temps, le Consulat à vie, certain d’avance que le peuple presque unanime accordera, dans la joie de la paix, ce qui lui sera demandé.

Consulat à vie, nom terrible d’ailleurs, incitation à l’assassinat puisque le régime reste toujours suspendu à l’existence de Bonaparte. Mais dans l’esprit des trois millions et demi de Français qui l’approuvent, ce règne viager signifie que les résultats acquis seront maintenus, que l’ordre nouveau continuera, qu’on ne reviendra ni sur le partage des propriétés ni sur les frontières. Thibaudeau (encore un conventionnel et un « votant ») traduit bien le sentiment public lorsqu’il écrit au Consul : « Les hommes de la Révolution, ne pouvant plus s’opposer à la contre‑révolution, vous aideront à la faire, n’espérant plus trouver qu’en vous une garantie. » Ce besoin de continuité exige toujours des prolongations de la magistrature suprême confiée à Bonaparte pour conserver la Révolution et la garantir. Ainsi l’idée de l’hérédité qui, lui, ne l’intéresse nullement, qui lui est même à charge, renaît. Elle revient toute seule aux esprits par ce même souci de l’avenir qui a créé une autorité temporaire, puis viagère. Dès lors qu’on reculait le Consulat jusqu’au dernier jour de l’existence du premier Consul, la préoccupation de sa mort surgissait. Ainsi le comprirent tout de suite les hommes qui adhéraient avec le plus de force au nouvel ordre politique et social, qui s’y incorporaient, qui, par tous leurs intérêts, s’y sentaient liés. Il leur avait paru que l’occasion était bonne pour demander au peuple s’il ne convenait pas de donner à Napoléon Bonaparte le droit de désigner son successeur puisqu’on le rendait lui‑même inamovible.

Il n’est plus étrange, après ce qu’on a déjà vu, que le premier Consul ait rayé de sa main la seconde