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16 NAPOLÉON petit Corse, comme les autres, à demi paysan, ardent a vivre et méditatif, grisé de son île capiteuse. Les récits du temps où l’on tenait le maquis, la politique locale et les querelles des factions d'Ajaccio, la part qu’y prenait son père, homme influent dans les deux villages voisins où il avait quelques propriétés, les soucis d’argent, la fameuse pépinière de mûriers, fertile surtout en déceptions, tout cela, tombant sur une imagination brûlante, n’est pas indifférent à une première formation, si l’on tient compte encore du trait peut-être le plus marqué de Napoléon, après le don inné du commandement : la mémoire, une mémoire presque infaillible, au service d’une intelligence qui mettait tout à profit.

C’était pourtant un enfant très sauvage, auprès des petits Français dont il serait bientôt le compagnon. À neuf ans, il ne parlait guère que son dialecte corse, c’était un étranger lorsqu’il fut conduit sur le continent. Charles Bonaparte était arrivé à ses fins. Grâce à M. de Marbeuf, les bourses étaient accordées. Napoléon devait être officier, Joseph prêtre. On s’embarqua le 15 décembre 1778. Sur la route de Versailles, où il se rendait comme député de la noblesse de l’île auprès du roi, le père les laissa tous deux au collège d’Autun.

La France faisait très bien les choses. Elle se chargeait d’élever gratuitement, avec les enfants des gentilshommes pauvres, ceux de l’ancien aide de camp de l’insurgé Paoli, et plus tard, à son tour, Elisa sera demoiselle de Saint-Cyr. Ainsi, entre neuf et dix-sept ans, le jeune Napoléon perdra le contact avec son île natale, où il ne retournera qu’en septembre 1786. « Élève du roi », il recevra, dans un milieu français, une éducation française, avec des jeunes gens de bonne condition venus de toutes les provinces du royaume. Il sera élevé dans des établissements officiels tenus, le premier par des religieux, le second par des militaires, c’est-à-dire qu’il y connaîtra les traditions de l’ancienne France.