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L’ILLUSION D’AMIENS

également désirée des deux côtés de la Manche. L’alliance franco‑russe étant rompue par la mort de Paul et par l’avènement d’Alexandre, une transaction s’impose à Bonaparte et devient plus facile à l’Angleterre. Le premier Consul doit renoncer aussi bien à menacer l’Inde qu’à s’attacher la Prusse. À Alexandrie, Menou, le successeur de Kléber, vient de capituler. Les Anglais sont sûrs que l’Égypte ne retombera pas aux mains des Français qui, par conséquent, ne deviendront pas les maîtres de la Méditerranée. Le canon de Nelson, à Copenhague, a dissous la Ligue des neutres. Les Espagnols mènent mollement la soumission du Portugal. Le cabinet de Londres, que Pitt, sorti du ministère, n’animait plus de son ardeur, n’attendait plus, pour négocier, que d’occuper une position assez bonne. Il considéra que ces événements atténuaient la défection autrichienne dans une mesure suffisante. Il se décida à traiter.

Peu de paix auront été plus populaires que celle d’Amiens, saluées avec plus d’enthousiasme et de confiance. Quand, au mois d’octobre 1801, le colonel Lauriston apporta à Londres la ratification des préliminaires, la foule détela sa voiture et la traîna « avec délices ». Le premier Consul sentait si bien ce besoin des peuples, cette paix lui était à lui-même si utile, elle était pour lui une telle consécration, que, jusqu’à la signature finale (25 Mars 1802), il montra son impatience, son inquiétude, sa crainte que l’Angleterre ne se ressaisît. N’était‑ce pas incroyable, en effet, qu’elle se résignât, pour la première fois, non seulement depuis dix ans, mais depuis cinq siècles, à voir la France étendue dans les Flandres et le long du Rhin, jusqu’aux bouches du fleuve fameux, même au‑delà ? Pour beaucoup moins, elle avait fait à Louis XIV une guerre inexpiable. Alors le premier Consul paraissait plus grand que Louis XIV lui-même. On pouvait regarder dans l’histoire. Elle n’offrait