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NAPOLÉON

suggéra l’idée de s’adresser au Sénat conservateur, assemblée peu nombreuse, docile, maniable, et dont les délibérations offraient l’avantage de ne pas être publiques. Il suffisait d’y penser, et le hasard, autant que la nécessité, avait mis sur le chemin de la découverte. Le « sénatus-consulte » inventé ce jour‑là, et qui permettait de se passer de lois, devint un moyen de gouvernement d’une souplesse sans pareille. Il servira à tout, comme une formule magique. Pour le motif que le Sénat doit « conserver » la Constitution, on lui demandera de la modifier. Le système de Sieyès était si parfait qu’il pouvait aller jusqu’à s’anéantir lui‑même. Il contenait bien tout ce qu’il fallait pour passer, par « gradations insensibles », de la République à la monarchie absolue. Il en sera ainsi jusqu’au jour où, tout se déliant et se dissolvant, ce Sénat, devenu indispensable par les services qu’il aura rendus sans compter, se trouvera seul debout dans la ruine du reste. Alors un sénatus-consulte suprême prononcera la déchéance du maître que ses complaisances auront fait.

Quelques jours après ces mesures de rigueur contre les républicains terroristes et la « compagnie des tyrannicides » qui devait susciter un « Brutus français », le ministre de la police fournit la preuve que les véritables auteurs de l’attentat du 3 nivôse étaient des chouans. Sans doute Fouché le savait‑il dès le début. Mais contre les conspirateurs de gauche, le coup est fait, tandis que le premier Consul paraît entouré d’ennemis invisibles et qui renaissent toujours, sa personne menacée à toutes les minutes et, par conséquent, son gouvernement « à la merci d’un coup de pistole » au moment même où ce gouvernement réparateur semble donner à la France plus encore qu’il n’a promis. Alors Bonaparte devient d’autant plus précieux que son existence est plus fragile. C’est ainsi qu’ayant acquis le prestige par ses victoires et le pouvoir par des circonstances heureuses, les inquiétudes qu’on a pour sa vie mû-