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NAPOLÉON

mence à naître, c’est que le successeur éventuel doit être désigné d’avance, désigné par Bonaparte lui‑même, pour décourager les assassins. Et cette pensée, qui montera, qui grandira, qui ramènera très vite au système héréditaire, il s’en faut de beaucoup qu’elle soit agréable à Bonaparte. La couronne de Charlemagne, s’il l’a déjà aperçue, la fondation d’une quatrième dynastie, s’il y a déjà songé, ne le tentent guère. On peut dire qu’à ce moment‑là, et il en sera ainsi pendant des mois encore, personne plus que lui ne répugne au rétablissement en sa faveur d’une forme quelconque de royauté parce qu’il ne veut pas, surtout, qu’on parle de sa succession. Léguer son pouvoir ? À qui ? Et que lui importe l’hérédité ? Il n’a pas d’enfant, Joséphine a bien peu de chances de lui en donner malgré les conseils du médecin Corvisart et les eaux de Plombières. Va-t-il mettre, dans ses pas et dans son ombre, un remplaçant et un rival, alors qu’il lui a déjà fallu éliminer Sieyès ? Va-t-il, par la seule annonce d’un nom à choisir, ranimer ces compétitions qu’il redoute, et tout cela pour fournir une arme à ses adversaires capables d’ameuter encore bien du monde en criant à l’ambition et à la monarchie ? Et ses frères voudraient lui forcer la main, ils sont eux‑mêmes poussés par les brumairiens que l’avenir inquiète. Voici que Lucien se livre à l’un de ces esclandres dont il est coutumier. Ministre de l’Intérieur depuis qu’il a fallu renvoyer Laplace à la mécanique céleste, Lucien, sans consulter le premier Consul et même s’en gardant bien, répand à travers la France, officiellement, par les préfets, une brochure Parallèle entre César, Cromwell et Bonaparte, qui pose avec brutalité la question : « Où sont ses héritiers ? » Ce n’est pas seulement, sous le rapport de la politique, une imprudence. C’est un défi personnel au premier Consul. Ses frères ne pensent pas à lui, ils ne pensent qu’à eux. L’héritage, qui n’est pas ouvert, qui est à peine formé, ils le convoitent, et leur convoi-