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À LA MERCI D’UN COUP DE PISTOLET

diplomatie. Il lui laisse, en somme, le théâtre principal des opérations. Pour vaincre l’Autriche, c’est chez elle, en Allemagne même, qu’il faut l’atteindre, et, lorsque Napoléon aura mis au pas les généraux, ce n’est pas par l’Italie qu’il s’ouvrira le chemin de Vienne. Mais, en 1800, il est obligé de respecter les droits de Moreau. Il est circonspect dans ses rapports avec lui. Lorsque Moreau, à la manière des généraux du Directoire (celle de Bonaparte trois ans plus tôt), répond à des instructions qui lui déplaisent par une menace de démission, le premier Consul s’empresse de l’apaiser et ce n’est pas par des ordres, c’est par des flatteries qu’il l’amène à combiner à peu près leurs plans de campagne.

Cependant, pour asseoir son autorité aussi bien sur les militaires que sur les civils, il faut à Bonaparte un coup d’éclat par lequel les Français, croyant enfin toucher au but qui, depuis huit ans, se dérobe, se donneront tout à fait à lui, une victoire qui éclipse toutes les autres, même les siennes, et surtout les succès que Moreau pourra remporter en Allemagne. Il lui faut une victoire qui frappe les esprits. Il le disait à Volney : « Je n’agis que sur les imaginations de la nation ; lorsque ce moyen me manquera, je ne serai plus rien. » Pour le premier Consul, le résultat de cette campagne devait être tout ou rien. Jamais, jusqu’en 1815, l’alternative ne s’appliquera plus strictement.

Mais, comme à Waterloo, le sentiment intense qu’il avait d’un enjeu énorme, non seulement pour la nation mais pour lui‑même, lui enleva peut‑être une partie de ses facultés et, le jour de la décision, intimida son génie. De magnifiques narrations, plusieurs fois retouchées, ont mis en scène cette campagne, le passage du mont Saint‑Bernard, l’irruption en Italie. La conception générale était grande et belle. Dans le détail, elle faillit échouer deux fois. À l’entrée, le fort de Bard se présenta tout à coup comme un obstacle qu’on n’avait pas