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NAPOLÉON

conçoit la nation française. Réponse négative. Ni le gouvernement britannique ni le conseil aulique de Vienne ne sont disposés à céder. Ni l’un ni l’autre ne croient que le changement de gouvernement qui vient de se produire à Paris, cette nouvelle révolution dans la Révolution, soit de nature à accroître pour la France les chances de garder ses conquêtes. Ainsi la preuve est manifeste que, gagnées par l’épée, il faudra les conserver par l’épée. Et, selon le mot juste et lumineux de Cambacérès, c’est « pour la Belgique » qu’on se battra encore à Marengo.

La conservation des conquêtes, c’était là qu’on attendait Bonaparte. C’est là qu’on l’attendra toujours. La France lui permettra de « reporter » la situation jusqu’en 1814. Elle lui renouvellera ce crédit en 1815. Il ne faut pas qu’il soit battu. Autrement, on le « liquide ». Ces termes du jeu de Bourse s’appliquent exactement à son histoire. Dès qu’on doute de son succès, dès que sa défaite paraît possible, les liquidateurs se remuent et se présentent. Il y en a déjà au printemps de 1800.

Les services qu’il a rendus en rétablissant l’ordre ne sont pas encore tellement anciens ni tellement éprouvés, ils ne semblent pas non plus tenir a ce point à sa personne, qu’ils lui servent de sauvegarde et de bouclier. Son élévation si soudaine fait des jaloux, chez les militaires encore plus que chez les civils, mais elle est trop récente, on a vu trop de popularités sans lendemain, trop de grands hommes d’une saison, pour qu’on la croie définitive. Pourtant Bonaparte n’a pas parlé plus haut que les circonstances ne le permettaient. Il s’est conduit de manière à n’alarmer ni les libéraux, ni les royalistes, ni les jacobins. Non seulement il a ménagé tout le monde, de même que le 18 brumaire, fait à la fois pour et contre la Révolution, laissait des espérances ouvertes à tous, mais que ce jeune général, en dépit de ses talents, de son autorité, de