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LE PREMIER DES TROIS

tions aristocratiques. Et l’oncle Fesch aussi. Tout sert. Être neveu d’un ecclésiastique, bientôt d’un évêque, n’est pas mauvais pour le premier Consul. Et puis, il flatte un autre goût national, celui de la gloire, comme il flatte, chose qu’on ne doit jamais oublier et qui en expliquera beaucoup d’autres, l’espoir de la paix, toujours promise, toujours différée. Il rend même du prestige à l’autorité, encore un besoin dont il avait eu la divination. La chose la plus extraordinaire qu’il fasse peut-être alors, et dès les premières semaines du Consulat, le 19 février 1800, c’est de quitter le Luxembourg et de s’installer avec ses deux collègues aux Tuileries, bien qu’il y eût une nuance entre les Tuileries et Versailles où il ne se résoudra jamais à résider.

Les Tuileries, l’émeute y avait ramené Louis XVI aux journées d’octobre pour les violer le 20 juin et les prendre d’assaut le 10 août. Elles étaient comme le symbole du despotisme renversé par le peuple. Avant d’habiter le château, il avait fallu en nettoyer les murs « ignoblement barbouillés de bonnets rouges ». Sur l’un des corps de garde, on lisait encore cette inscription : « 10 août 1792. La royauté est abolie en France ; elle ne sera jamais rétablie. » Et les serments de ne jamais rétablir la royauté restaient rituels, obligatoires. Mais, en venant s’établir dans le palais des rois, Bonaparte ne signifiait‑il pas aux Bourbons que, du moins, ce ne seraient pas eux qui y rentreraient et qu’il n’était pas disposé, comme tant de royalistes aimaient à le croire, à jouer le rôle de Monk ?

Il n’est pas Monk, restaurateur des Stuarts, mais Washington. Le fondateur de la République américaine venait de mourir. Le gouvernement consulaire avait organisé une cérémonie funèbre en son honneur, prononcé son éloge, comme celui d’un modèle. C’est couvert du nom de Washington que Bonaparte, acclamé par les uns, regardé curieusement par les autres, s’en alla, dans un cortège que