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LE PREMIER DES TROIS

publiques et parlementaires, bref tout ce qui définit et constitue la République, c’était Sieyès qui l’avait aboli. Dans sa mécanique, dans son « horloge » l’Empire autoritaire s’installerait tout seul. Le grand promulgateur de la Loi avait ouvert la porte à ce qu’on a, plus tard, appelé le despotisme.

Ajoutons que les « listes de notabilité » comprenaient des « inscrits de droit » qui seraient les hommes ayant exercé des fonctions publiques au cours de la Révolution. En outre, ces listes ne seraient pas formées avant deux années. Les trois assemblées seraient donc composées d’abord, et plus sûrement même que les premiers Conseils du Directoire, de révolutionnaires éprouvés. C’est ainsi encore que, tout naturellement, d’une fournée de régicides, sortirent des dignitaires de l’Empire.

Et tout cela, que Bonaparte n’eut qu’à garder et à continuer, ne faisait pourtant pas de lui le chef du pouvoir. Sieyès avait cru penser à tout et se prémunir contre une dictature. En haut de sa « pyramide » il mettait un grand Électeur chargé de désigner deux consuls, l’un de la paix, l’autre de la guerre, l’un pour les affaires du dedans, l’autre pour les affaires du dehors. Si, par hasard, ce grand Électeur devenait inquiétant, le Sénat avait la faculté de l’« absorber » dans son sein, en d’autres termes de le destituer. Quand on en vint à discuter la Constitution, Bonaparte accepta tout, sauf le grand Électeur, ce qui lui fut d’autant plus facile que Sieyès, pour vaincre sa répugnance, lui offrait la place qu’il s’était d’abord réservée ou que, dit‑on, il réservait soit à un prince étranger, soit à un prince de la famille d’Orléans. Offre imprudente, qui allait tourner à sa confusion et faire ce qui n’était pas dans son dessein : un premier Consul. Les circonstances servaient le jeune général. Mais quel art de les saisir toutes, de voir à l’instant les points faibles et de manœuvrer de vieux politiciens pourtant subtils !