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devaient obéir au commandant supérieur ou aux Conseils dont ils avaient la garde et dont ils dépendaient. En somme, ils ne savaient pas s’ils devaient arrêter le général factieux ou le suivre pour expulser les Cinq-Cents.

Lucien sauva tout. Du moins, il procura le dénouement qui sauvait tout. Ne réussissant pas, dans le tumulte de l’Assemblée, à se faire entendre, il jeta, d’un geste de théâtre, sa toge « en signe de deuil », puisque son autorité de président était méconnue, et quitta le fauteuil pour la tribune, afin de défendre son frère. C’était encore des instants de gagnés. Il s’efforçait de retarder le vote qui mettrait son frère hors la loi quand, au milieu du vacarme et d’un véritable pugilat, il trouva, avec un beau sang-froid, le moyen d’avertir les conjurés du dehors. À tout prix et n’importe comment, il faut qu’avant dix minutes la séance soit levée. Bonaparte, à qui le calme est revenu, comprend. Dix hommes et un capitaine entrent dans la salle, enlèvent Lucien de la tribune et l’amènent dans la cour, sur le front des troupes. Cette fois, la situation se retourne, C’est le président des Cinq-Cents lui-même qui accuse les députés de troubler la délibération, de tenir le Conseil sous la terreur. Ils ne sont plus les représentants du peuple mais « les représentants du poignard », des brigands en révolte contre la loi.

La loi, ce mot magique dont les partis jouaient tour à tour depuis dix ans, entraîne tout. Les derniers scrupules sont vaincus. Les grenadiers s’ébranlent ; Murat se met à leur tête, la salle des séances est envahie et les députés sont poussés dehors, en désordre, au moment où tombe la nuit.

La fin n’était pas tout à fait telle que Bonaparte l’eût voulue. L’invocation de la légalité personnifiée par le président Lucien n’avait été qu’un simulacre, presque une comédie. Le coup d’État parlementaire avait pris, malgré tout, l’allure d’un coup de force