Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
COMMENT ON PEUT MANQUER UN COUP D’ÉTAT

mence mal. Lorsque enfin tribunes et banquettes sont prêtes et que le débat s’ouvre, les jacobins prennent l’offensive. Aux Cinq-Cents, ils exigent un serment préalable de fidélité à la Constitution. Aux Anciens, ils réclament des explications sur le complot de l’anarchie. Dans les deux Assemblées, les partisans de Sieyès sont désorientés et fléchissent. Ce sont des modérés. Les violents les intimident et ils ne sont pas loin de renoncer à un dessein qui, sur place, leur apparaît tel qu’il est, c’est-à-dire décousu, plein de lacunes, trop de choses laissées au hasard. Sieyès et Bonaparte s’aperçoivent qu’on ne fait pas si aisément une révolution, même parlementaire, avec des conservateurs bien élevés, des intellectuels paisibles, des hommes de cabinet qui ont en face d’eux des manœuvriers de clubs, des hommes de coup de main et d’insurrection. Selon le mot d’Albert Vandal, « l’Institut était en train de manquer son coup d’État ».

Alors Bonaparte se décide à intervenir, à précipiter un dénouement qui traîne. Déjà le bruit se répand jusqu’à Paris que l’affaire prend mauvaise tournure, ce qui n’est pas pour raffermir les timides. Encore une hésitation et tout sera perdu. L’instant est venu de jouer le tout pour le tout.

On vient d’annoncer aux Conseils que les cinq Directeurs ont donné leur démission. Du moins cette partie de la conspiration a été bien menée. Gardés à vue par Moreau, sachant à peine ce qui se passe, Gohier et Moulin sont dans l’incapacité de démentir. Plus de pouvoir exécutif. C’est le moment d’exercer sur les deux Assemblées la pression nécessaire pour obtenir le vote d’une Constitution nouvelle, et Bonaparte s’imagine encore que, pour déterminer les parlementaires, il lui suffira de se montrer.

Il se présente d’abord aux Anciens, où la majorité reste bien disposée. On lui fait place, on l’écoute. Mais, plus nerveux encore que la veille, il débite,