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NAPOLÉON

Enfin, et surtout, il est des hommes qui se réservent et qui, se rencontrant dans la même pensée, se concertent et s’organisent. Il n’y a pas seulement ceux qui exécutent le coup d’État et ceux qui s’y opposent. Il y a ceux qui se demandent ce qui arrivera si l’affaire manque, qui craignent surtout les suites d’un échec, un redoublement de gâchis. Le ministre de la Justice, Cambacérès, met rapidement sur pied une combinaison destinée à remplacer celle de Sieyès et de Bonaparte en cas de besoin. Précaution qui n’est pas tellement superflue et qui en dit long. Il s’en faut de beaucoup que les contemporains de Napoléon aient été unanimes à croire à son étoile. Il y aura toujours, et non loin de lui, des hommes pour être frappés par la fragilité plus que par l’éclat de son pouvoir et qui n’auront pas oublié ce que le 18 brumaire a eu d’incertain.

Le 19 brumaire, plus exactement. Car c’est le 19 que les choses faillirent tourner mal. La réussite tint à un fil. En réalité, Napoléon la dut à son frère Lucien. Il n’est pas fait pour ces sortes de bagarres. Le contact des foules lui donnera toujours une répulsion nerveuse. Il est habitué à commander, et, dès qu’il n’agit plus par son seul prestige, il perd ses moyens.

Qu’on se représente les députés des deux Assemblées arrivant à Saint-Cloud, ignorant pour la plupart ce qu’ils vont y faire et ce qu’on va leur demander. On a perdu assez de temps depuis la veille. Il faudrait ouvrir la séance tout de suite et mener les choses tambour battant. Les salles de réunion, qu’il a fallu improviser dans l’Orangerie, ne sont pas prêtes. Des ouvriers y travaillent encore. Revêtus de leur costume et de leurs insignes, Anciens et Cinq-Cents se promènent sur la terrasse, se mêlent, échangent leurs réflexions, et l’appareil militaire qui les entoure persuaderait les plus confiants qu’un coup de force se prépare. On s’excite, on se monte et déjà, par ce retard maladroit, l’après-midi com-