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Le renforcement du pouvoir exécutif, objet du nouveau coup d’État en préparation, était donc une idée raisonnée et raisonnable. Aussi, tout ce qui, dans la République, représentait l’intelligence et l’idéologie était du côté de Sieyès. Et puisqu’on sentait le besoin d’un chef pour continuer la guerre des limites naturelles dans de bonnes conditions, il était encore dans la logique de la situation que ce chef fût un militaire. Sieyès et les idéologues ne pouvaient même, sans bien le savoir, tomber mieux qu’avec Bonaparte. De tous les militaires possibles, il est celui qui a le plus d’autorité personnelle et d’horizon. Il n’exposera la France ni à un gouvernement de soldatesque, ni à des séditions successives de prétoriens. Si la Révolution devait finir par le césarisme, elle a eu cette chance de rencontrer du premier coup le militaire, qui, ayant le moins l’esprit de caste, était assez pénétrant pour assurer tout de suite la prééminence de l’élément civil dans son gouvernement de manière à ne pas ouvrir dans les camps l’ère des proclamations d’imperators.

Vingt-cinq jours seulement s’écoulent entre le matin où Bonaparte rentre chez lui, rue Chantereine, et le soir où il sort, déjà César, de l’Orangerie de Saint-Cloud. Cependant le César de demain a une femme, plus que soupçonnée, convaincue d’infidélité et d’inconduite. Sur la vie de Joséphine, ses désordres, ses dettes, Bonaparte, déjà renseigné, a reçu de nouvelles précisions par ses frères qui haïssent leur belle-sœur. Inquiète, la coupable a voulu s’expliquer, plaider sa cause, enlever un pardon et elle est allée au-devant de son mari, mais elle a pris la mauvaise route tandis que Joseph a pris la bonne. Bonaparte est résolu à faire maison nette. Il en a assez de partager avec ce M. Charles, d’être un mari bafoué. Le maître prochain de la France n’est pas encore bien loin de la bohème où il a vécu, du demi-monde où il a pris sa compagne.