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des règlements. Déjà les cris qu’il entend, l’allégresse dont il recueille les marques lui font connaître qu’il est attendu. Si l’heure est passée où l’on aurait eu besoin d’un grand capitaine pour vaincre l’ennemi, on a besoin d’un soldat, d’un chef pour sauver la République et l’État.

Mais il ne sait pas encore tout. S’il vient de tâter le pouls du public, le vœu de la foule est vague et amorphe. En approchant de Paris, il apprend quelque chose de nouveau et de précis qui donne à sa fortune une face nouvelle. Le pouvoir qu’il avait entrevu et désiré, comme les autres, sans découvrir le moyen d’y accéder, s’offre à lui. Non seulement le fruit est mûr, mais on lui apporte les moyens de le cueillir. Un coup d’État est dans la nature de la situation. Le « comment » se présente pour Bonaparte et se présente de lui-même. Accouru à sa rencontre, son frère Joseph le met au courant des idées et des projets de Sieyès, désemparé depuis la mort de Joubert. Pour devenir le maître en France, Bonaparte n’aura pas à soulever des régiments ou la rue, procédé incertain, aventureux, qui lui répugne toujours, dans lequel il n’a pas confiance. Le coup d’État qui se prépare, auquel il ne manque plus qu’un exécutant, ne le compromettra pas avec les royalistes et ne le laissera pas prisonnier des militaires. Il sera organisé de l’intérieur par des civils, des républicains, avec la caution d’un révolutionnaire, un pur des premiers jours de 89, un régicide, un « votant ». Ce coup d’État sera encore fidèle au « génie de la République », dans le droit fil de la Révolution et, par là, à peine hors de la légalité, tel enfin que pouvait le concevoir, le souhaiter et même l’approuver le général de vendémiaire et de fructidor.

Il reste à comprendre pourquoi, dans la République même, à la tête de l’État, des hommes considérables et réfléchis en étaient venus à ne plus voir de salut que dans l’appel au soldat, pourquoi