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ne poussent pas la guerre à fond, qu’ils restent divisés d’intérêts, qu’ils ont d’autres calculs. En 1793, ils avaient laissé la France pour courir au dernier partage de la Pologne de peur que l’un n’en prît un plus gros morceau que l’autre. En 1799, la rivalité de l’Autriche et de la Russie en Orient arrête leur offensive. Masséna profite de ce ralentissement pour battre Souvarof à Zurich, presque en même temps que Brune a le bonheur de battre les Anglais et les Russes débarqués en Hollande. Cette fois encore la France est sauvée de l’invasion. L’Italie est perdue, mais les « frontières naturelles » sont préservées. À ce moment, Bonaparte touche au terme de sa traversée aventureuse. Le 1er  octobre, la Muiron, miraculeusement échappée aux Anglais, aborde à Ajaccio. Bonaparte y apprend les nouvelles. Il bout d'impatience. Il comprend que Brune et Masséna lui retirent le pain de la bouche. Il croyait, dès son retour, par une acclamation générale, recevoir le commandement des armées de la République pour repousser l’ennemi. Mais l’invasion est arrêtée. Il arrive trop tard.

N’importe. Il se hâte. Dès que la route est sûre, la Muiron remet à la voile et jamais plus Bonaparte ne reverra Ajaccio. Le 8 octobre, il est en vue des côtes de Provence. Il se dérobe encore à l’escadre anglaise qui croise pour le saisir. Le 9, il débarque près de Fréjus, dans la baie de Saint-Raphaël.

Il eut alors une révélation. Pendant son absence, sa popularité avait grandi au delà de ce qu’il avait espéré. À peine sa frégate a-t-elle approché du rivage, à peine son arrivée est-elle connue que les Provençaux accourent, entourent la Muiron de leurs barques, acclament le général, montent à bord pour le voir de plus près. Autre chance. Cette prise de contact le délivre du service sanitaire et de la quarantaine que pourrait, puisqu’il vient d’un pays où il y a la peste, lui infliger une administration mal intentionnée. Il se met de lui-même au-dessus