Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est le secret de l’avenir et des circonstances. Ce qui, pour lui, est évident, c’est que l’Égypte est un chapitre clos. Dans ce proconsulat d’Orient, il a seulement pris en lui-même plus de confiance encore que dans le proconsulat d’Italie. Il a déjà gouverné deux pays. Gouverner la France, à trente ans, est une idée qui ne l’effraie plus. La « grande ambition » qui lui est venue depuis Lodi s’est épanouie après les Pyramides.

Mais il faut rentrer. Il faut d’abord laisser l’armée d’Égypte à sa conquête sans espoir, organiser cette défection dans le secret pour ne pas révolter la troupe ni démoraliser les chefs auxquels sera délégué le commandement. Devant les Français eux-mêmes, il faut que ce départ devienne honorable, sinon glorieux. C’est à quoi pourvoiront quelques proclamations éloquentes qui n’empêcheront ni le blâme amer et hautain de Kléber, ni la raillerie du soldat qui voit filer le général « Bonattrape ». Enfin il faut que la fortune soit encore assez complaisante pour que la frégate la Muiron et les trois bâtiments qui l’accompagnent passent à travers la surveillance des Anglais. Le retour était aussi hasardeux que l’aller. Le sort voulut qu’il se terminât aussi bien. Mais Bonaparte jouait son va-tout. S’il restait enfermé en Égypte, sa carrière était finie. Il se fia à son étoile. Elle l’amena en France, fidèlement. Et ce que le succès de cette hardiesse a d’inespéré, d’incroyable, efface les sentiments froissés par l’abandon des compagnons d’armes que leur chef livre à une capitulation prochaine. Cette navigation audacieuse au long de la Méditerranée sillonnée de voiles anglaises, d'ennemis avides d’une si brillante capture, c’est le bonheur insolent, qui étonne, qui en impose et qui fait crier au décret du destin.

Bonaparte risquait de ne pas rentrer du tout. Il risquait aussi de rentrer trop tard. À ce moment, Sieyès, au Luxembourg, méditant un coup d’État, « cherchant une épée.», ne pensait pas au chef de