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général en chef laisse son cheval aux blessés, marchant à pied, comme il aura un bâton à la main au retour de Moscou. Cependant, de même qu’il abandonnera silencieusement la Grande Armée, il ne tardera plus à quitter l’Égypte, affaire sans autre issue, désormais, qu’une capitulation.

Il revient d’abord pour jeter à la mer les Turcs débarqués au rivage même d’Aboukir, brouillant par une victoire terrestre le nom d’une écrasante défaite navale. Juillet 1799 vient de finir. Depuis qu’il a quitté Toulon, c’est-à-dire depuis quatorze mois, Bonaparte n’a eu que de rares nouvelles de France. Une fois ou deux, des négociants, échappés aux croisières anglaises, lui en ont apporté, mais vagues et anciennes. Après la reddition du fort d’Aboukir, on reçoit par Sidney Smith, envoyé en parlementaire, tout un paquet de journaux d’Europe. L’attention ne présageait rien d’heureux. Réveillé au milieu de la nuit, Bonaparte lit aussitôt les gazettes. Il apprend que la guerre générale a recommencé, que les armées de la République reculent partout, que Scherer a été battu sur l’Adige et que l’Italie est perdue, que Jourdan, également battu dans la Forêt Noire, a repassé le Rhin. Au matin, il fait appeler le contre-amiral Ganteaume et s’enferme avec lui pendant deux heures. Sa décision est prise. Il rentrera.

Est-ce dans la pensée de prendre le pouvoir ? Mais ce n’est qu’une fois débarqué en France qu’il connaîtra le véritable état du pays, qu’il sera informé des chances qui s’offrent maintenant pour un coup d’État. Qu’au Luxembourg un des Directeurs au moins pense à un soldat pour sauver la Révolution et la République, il ne le saura qu’en approchant de Paris. S’il ignore, la dépêche ne lui étant pas parvenue, que le Directoire l’a déjà rappelé, du moins pressent-il qu’on a besoin de lui pour rétablir la situation militaire et que, là, le grand premier rôle l’attend. Le reste, il l’aura peut-être.