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Constantinople, marcherait de là sur Vienne, à moins que, renouvelant les exploits d’Alexandre, il ne se dirigeât sur l’Inde pour donner la main à Tippo-Saïb et chasser les Anglais.

D’une audace logique, la même qui conduira Napoléon à Moscou pour tenter de rompre le cercle anglais, la campagne de Syrie devait échouer. Sans doute les Turcs, battus au Mont-Thabor, renoncèrent à envahir l’Égypte. Mais, devant Saint-Jean-d’Acre, Bonaparte fut arrêté. Là il retrouva Phélipeaux, son ancien rival d’école, émigré, passé au service de l’Angleterre et qui, avec Sidney Smith, organisa une défense selon les règles où les assauts des Français vinrent se briser. La grosse artillerie manquait, transportée par mer et enlevée par les patrouilles anglaises. Après deux mois d’efforts inutiles, Bonaparte décida de lever le siège. Ce ne fut pas sans crève-cœur. La preuve que l’affaire d’Égypte n’était pas dans son esprit une diversion, une affaire à côté en attendant mieux, mais une entreprise importante par elle-même et capable de vastes développements, c’est le souvenir irrité que Saint-Jean-d’Acre lui laissa. « Mes projets comme mes songes, tout, oui, l’Angleterre a tout détruit, » disait-il plus tard. Il y pensait encore à Sainte-Hélène. On eût dit qu’il avait manqué là sa vie. Et pourtant cette campagne de Syrie, admirablement mise en scène, tournait encore à l’avantage de sa légende. En Terre-Sainte, il a quitté son déguisement islamique. Il est apparu chrétien, presque un croisé, il a montré de l'émotion à Nazareth, comme ses soldats républicains, à qui des cantiques remontaient du cœur en passant par les lieux sacrés de la Palestine. Et les épisodes atroces, les scènes d’horreur, qui ont abondé, reçoivent (ainsi la visite aux pestiférés de Jaffa) le coup de pouce de l’artiste qui les transfigure pour l’imagerie populaire. L’échec d’Acre lui-même prend une allure épique, par la retraite dans le désert, où le